Stéphane Séjourné : "Il faut trouver de nouveaux marchés et de nouveaux accords commerciaux"
Cette semaine, nous recevons Stéphane Séjourné, vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle à la Commission européenne. Simplification administrative et lancement du programme "Choose Europe", il présente les mesures pour relancer la compétitivité des Vingt-Sept, et nous parle de l’Europe de la défense et du défi démocratique en Roumanie et Pologne. La Commission européenne a dévoilé sa nouvelle "stratégie pour le marché unique" européen ayant pour objectif de lever les barrières internes et d’inciter les entreprises européennes à investir sur le continent."Le contexte international fait du marché intérieur une valeur refuge pour les entreprises européennes. Or, elles sont plus facilement internationalisées qu’européanisées", explique Stéphane Séjourné, vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle à la Commission européenne et également ancien député européen du groupe Renew. Selon lui, les barrières réglementaires empêchent certaines entreprises européennes de se développer dans d’autres pays européens.À lire aussiStéphane Séjourné, un proche de Macron et spécialiste de l'Europe au Quai d'Orsay"Il faut de la flexibilité""Nous avons mis en place des dispositifs pour simplifier et harmoniser l'ensemble des règlements. Il y aura un objectif, y compris celui d’un 28ᵉ régime pour les entreprises qui veulent opérer sur le marché européen", détaille-t-il. Face aux tensions commerciales actuelles entre l’Union européenne (UE) et la Chine ou avec les États-Unis, Stéphane Séjourné appelle à "réduire nos dépendances" envers ces pays. "Le marché européen de 450 millions de consommateurs doit [...] offrir des perspectives de croissance pour nos entreprises européennes et notamment pour les entreprises françaises."Cette stratégie prévoit notamment d’exempter les petites et moyennes entreprises d'être inscrites au portail de la gestion des émissions carbone. Les ONG environnementales dénoncent une dérégulation déguisée qui irait à l’encontre des engagements pris par les Vingt-Sept en faveur de la protection du climat. "Nous avons décidé de garder les standards que nous avions fixés lors de la dernière mandature, c’est-à-dire la décarbonation de notre économie d’ici 2050. [...] L'objectif est intangible", se défend Stéphane Séjourné. À lire aussiAu nom de la compétitivité, Bruxelles détricote son Pacte vert et provoque la colère des écologistes"Nous sommes pragmatiques dans le contexte international qui a changé le contexte d'incertitude économique au sein du marché intérieur et donc de notre propre économie européenne. Il faut donner des flexibilités. Cela ne veut pas dire déréguler notre système, mais c'est retirer le papier, harmoniser les règles, pousser les États membres à justement faire des convergences fiscales et administratives sur un certain nombre de secteurs," tempère le commissaire européen. Face au climat d'incertitude économique, il insiste sur la nécessité d’être flexible : "Si vous rendez fixe le chemin, vous perdez toute marge de discussion et de négociation, et notamment d'adaptabilité économique."Les ONG environnementales dénoncent également une possible suppression du devoir de vigilance sur les entreprises, comme souhaité par le président français et le chancelier allemand, ce qui irait à l’encontre du Pacte vert européen.Les grandes entreprises ont le devoir de mettre en œuvre des mesures pour identifier, prévenir et atténuer les risques liés aux droits humains et à l’environnement tout au long de leur chaîne de production. "Cela faisait peser sur les entreprises européennes la responsabilité de toute la chaîne de valeur, y compris en dehors de l'UE. Cela partait assez bas dans la chaîne de valeur, c'est-à-dire que le sous-traitant du sous-traitant du sous-traitant devait également être contrôlé par votre entreprise européenne, sinon vous pouviez être responsable devant les tribunaux européens. Cela posait un certain nombre de problèmes d'insécurité juridique", détaille le vice-président exécutif chargé de la stratégie industrielle."L'Allemagne et la France ont fait une proposition pour remettre à plat ce texte, qui est clairement de le supprimer", confirme-t-il. Il précise que pour cela, il leur faut encore obtenir une majorité puisque c'est une codécision du Parlement européen et du Conseil. "Nous regarderons si nous ne pouvons pas garder les objectifs tout en simplifiant totalement le dispositif. [...] Au moment où les Américains font des choix très radicaux, il faut qu'on puisse aussi être très clairs sur notre réglementation européenne.""Il faut défendre l'intérêt européen au fur et à mesure des soubresauts de l'administration Trump"Donald Trump a brandi de nouvelles menaces sur les droits de douane en ciblant l'UE, visée par une surtaxe de 50 % sur ses produits exportés aux États-Unis. Depuis le début des discussions, les Vingt-Sept sont partagés entre une réponse forte basée sur des représailles douanières et sur une volonté de continuer la négociation.À lire aussiDonald Trump menace l'UE de 50 % de droits de douane, les Bourses européennes dévissent"Pendant cette période, il ne faut pas de doctrine. Il ne faut pas choisir une option ou une autre. Je pense qu'il faut défendre l'intérêt européen au fur et à mesure des soubresauts de l'administration Trump et du contexte international", explique Stéphane Séjourné."Je prône de ne surtout rien noter de définitif dans les propositions que nous pouvons faire tant que nous n'avons pas une proposition américaine sur la table", détaille-t-il. Selon lui, certains secteurs de production nécessiteront une "réciprocité complète" en termes de droits de douane appliqués aux produits américains, comme l’aéronautique : "S’il y a 10 % sur Airbus, il faut qu’il y ait 10 % sur Boeing."Dans d’autres secteurs, la réciprocité n’est pas dans l’intérêt de l’UE selon lui. "L'Europe a bien entrepris cette négociation. Elle a été moins vocale que les Américains, mais également unie dans la période", affirme le vice-président exécutif à la Commission. "Une partie de la réglementation pourrait affaiblir la demande de véhicules"En Europe, le marché de l’automobile représente 13 millions de travailleurs directs et indirects. Une industrie automobile européenne que Stéphane Séjourné estime "en danger de mort" notamment à cause de l’imposition de nouveaux droits de douane américains, de mauvais choix stratégiques et d’un excès de normes européennes. "Il y a un risque commercial fort puisque nous exportons des véhicules. Des constructeurs ont aussi décidé de produire en dehors de l'UE, pour d'autres marchés, pour des marchés domestiques sur lesquels ils comptent se développer. Il faut qu'on continue à pouvoir les aider", prévient le commissaire européen.L’UE a voté l’interdiction de la vente de voitures à essence et diesel à partir de 2035. Une décision qui pourrait être remise en question par la Commission européenne afin de relancer le secteur automobile."Une partie de la réglementation pourrait affaiblir la demande de véhicules si nous n'avons pas des critères d'achat européen de voitures électriques dans les flottes professionnelles d'entreprise, nous n'arriverons pas à booster la demande et nous n'arriverons pas à sortir par le haut," explique Stéphane Séjourné. "Dans un deuxième temps, il faut trouver de nouveaux marchés et de nouveaux accords commerciaux. [...] Si nous souhaitons réduire notre dépendance par rapport à la Chine et se préserver d'un futur marché américain qui peut fermer, il faut absolument trouver des nouveaux débouchés.""De nouvelles ressources propres"L’UE cherche à mettre en place une préférence européenne, avec 65 % de composants devant être européens, en matière d’achat d’armement en commun pour renforcer sa défense. "Nous ne pouvons pas avoir de matériel qui soit 100 % américain, 100 % coréen ou en tout cas qui ne soit pas avec des composants européens", réitère Stéphane Séjourné. "C'est quand même une petite victoire européenne sur la fin de la naïveté sur ce sujet. Cela donne des perspectives de commandes pour nos industriels. Et surtout, c'est une démonstration que l'Europe est en capacité d'être flexible sur son budget. Nous avons décloisonné tous les fonds européens, nous avons été chercher les fonds de cohésion."Au chapitre du budget de l’UE, il explique sa volonté de trouver "de nouvelles ressources propres" : "Il y a un certain nombre de pistes comme la taxation des petits colis qui viennent de Chine. Comme taxer chaque petit colis deux euros. Six milliards de colis devraient arriver de Chine l'année prochaine. Cela donne la taille de ce que nous pourrions récupérer dans le budget européen pour l'intérêt général européen."Il évoque également la possibilité d’instaurer un visa touristique payant pour entrer sur le territoire européen à l’instar du visa américain ou britannique : "Il y a des perspectives de nouvelles ressources qui ne sont pas supportées par les Européens, par exemple l’ESTA [système électronique d'autorisation de voyage] européen. [...] Vous allez aux États-Unis, cela coûte 25 ou 26 $ pour pouvoir rentrer sur le territoire américain. Vous allez en Europe, c'est gratuit.""L'Europe n'a pas l'arsenal réglementaire et la protection des démocraties nécessaires"En Roumanie, le pro-européen Nicusor Dan a été élu président face au nationaliste George Simion. Ce dernier a contesté sa victoire auprès de la Cour constitutionnelle qui a rejeté ce recours. Le candidat perdant demandait l'annulation du scrutin au motif "d'ingérences extérieures" de la France.À voir aussiÉlection présidentielle en Roumanie : un scrutin sous influence ?Stéphane Séjourné dément toutes ces infox, et appelle à "faire attention" : "Je pense que cela va se multiplier dans beaucoup d'élections. L'Europe n'a pas l'arsenal réglementaire et la protection des démocraties nécessaires à hauteur de ses ambitions", estime le commissaire, également ancien ministre de l'Europe et des Affaires étrangères français. Rappelant que le chinois TikTok est en effet intervenu dans la première élection présidentielle roumaine en décembre 2024, en propulsant un candidat pro-russe, il insiste : "Il faut maintenant qu'on puisse s'adapter, y compris aux nouvelles technologies, aux fake news et à l'ingérence étrangère de manière collective. Des mesures doivent être mises à disposition des États membres pour se protéger également et avoir une honnêteté et une liberté de parole parfaite dans ces élections."L’élection présidentielle à venir en Pologne pourrait également être menacée par l'ingérence étrangère : "Il y a une campagne, elle est libre, à priori. Nous n’avons pas de retour d'ingérence massive qui pourrait changer les comportements électoraux des Polonais de manière artificielle ou avec des fausses informations", commente Stéphane Séjourné. La présidence pourrait être remportée par les ultra-conservateurs qui menacent de bloquer l’agenda de retour à l’État de droit voulu par l'UE ainsi que le soutien à l'Ukraine. "C'est le risque en réalité d'avoir un retour sur des garanties de liberté de la presse, d'indépendance de la justice, de liberté d'expression, des oppositions. Il faut qu'on garantisse ces libertés, nous, Européens, mais nous ne devons pas nous mêler du débat national des partis politiques. C'est le choix des peuples souverains d'élire leur président. Il faut que nous le respections, même si cela ne nous convient pas."À voir aussiPrésidentielle en Pologne : un premier tour serré"Ils peuvent apporter énormément à l'économie européenne"La France a accueilli la conférence Choose Europe for Science dont l’objectif est d’attirer des scientifiques du monde entier sur le Vieux Continent. Alors que l’administration américaine ampute le budget réservé à la recherche scientifique, l’UE appelle les chercheurs outre-Atlantique à "choisir l’Europe". Pour ce faire, elle met à disposition une enveloppe budgétaire de 500 millions d'euros pour la période 2025-2027. Une initiative critiquée par certains car l’UE a effectué des coupes budgétaires dans la recherche et l'enseignement supérieur ces dernières années. "Choisir l'Europe, ce sera réviser les marchés publics, mettre des clauses de préférence européenne sur un certain nombre de secteurs stratégiques, faire le Buy European Act qui sera une petite révolution pour l'UE", tente de rassurer Stéphane Séjourné. "Pour ce qui est du Choose Europe sur la recherche, nous sommes engagés dans une démarche d'attractivité internationale puisqu'il y a des perspectives de faire venir des talents incroyables, notamment de l'autre côté de l'Atlantique, qui se sont retrouvés sans argent pour rechercher, parce que ce sont des chercheurs qui sont souvent très capés et qui ont énormément d'expérience. [...] Ils peuvent apporter énormément, y compris à l'économie européenne et à la recherche appliquée pour nos industriels", conclut-il. Émission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats, Luke Brown et Oihana Almandoz.